Madame et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Je remercie MM. Blix et El Baradei
pour les indications qu'ils viennent de nous fournir sur la poursuite des
inspections en Iraq. Je tiens à nouveau à leur exprimer la confiance et le
plein soutien de la France dans leur mission.
Vous savez le prix que la France
attache, depuis l'origine de la crise iraquienne, à l'unité du Conseil de
Sécurité. Cette unité repose aujourd'hui sur deux éléments essentiels:
Nous poursuivons ensemble l'objectif
d'un désarmement effectif de l'Iraq. Nous avons en ce domaine une obligation de
résultat. Ne mettons pas en doute notre engagement commun en ce sens. Nous
assumons collectivement cette lourde responsabilité qui ne doit laisser place
ni aux arrière-pensées, ni aux procès d'intention. Soyons clairs: aucun d'entre
nous n'éprouve la moindre complaisance à l'égard de Saddam Hussein et du régime
iraquien.
En adoptant à
l'unanimité la résolution 1441, nous avons collectivement marqué notre accord
avec la démarche en deux temps proposée par la France : le choix du désarmement par
la voie des inspections et, en cas d'échec de cette stratégie, l'examen par le
Conseil de Sécurité de toutes les options, y compris celle du recours à la
force. C'est bien dans ce scénario d'échec des inspections, et dans ce cas
seulement, que pourrait se justifier une seconde résolution.
La question qui se pose aujourd'hui
est simple: considérons-nous en conscience que le désarmement par les missions
d'inspection est désormais une voie sans issue? Ou bien, estimons-nous que les
possibilités en matière d'inspection offertes par la résolution 1441 n'ont pas
encore été toutes explorées?
En réponse à cette question, la France
a deux convictions:
la première, c'est que l'option
des inspections n'a pas été conduite jusqu'à son terme et peut apporter une
réponse efficace à l'impératif du désarmement de l'Iraq ; la deuxième, c'est qu'un
usage de la force serait si lourd de conséquences pour les hommes, pour la
région et pour la stabilité internationale qu'il ne saurait être envisagé qu'en
dernière extrémité. Or, que venons-nous d'entendre, à travers le rapport de MM.
Blix et El Baradei? Nous venons d'entendre que les inspections donnent des
résultats. Bien sûr, chacun d'entre nous veut davantage et nous continuerons
ensemble à faire pression sur Bagdad pour obtenir plus. Mais les inspections donnent
des résultats.
Lors de leurs précédentes
interventions au Conseil de sécurité, le 27 janvier, le Président exécutif de
la CCVINU et le Directeur général de l'AIEA avaient identifié précisément les domaines
dans lesquels des progrès étaient attendus. Sur plusieurs de ces points, des
avancées significatives ont été obtenues:
Dans les domaines chimique et
biologique, les Iraquiens ont remis de nouveaux documents aux inspecteurs. Ils
ont aussi annoncé la création de commissions d'investigation, dirigées par les
anciens responsables des programmes d'armements, conformément aux demandes de
M. Blix ;
Dans le domaine balistique, les
informations fournies par l'Iraq ont permis aux inspecteurs de progresser
également. Nous détenons avec précision les capacités réelles du missile
Al-Samoud. Maintenant, il convient de procéder au démantèlement des programmes
non-autorisés, conformément aux conclusions de M. Blix ;
Dans le domaine nucléaire, des
informations utiles ont été transmises à l'AIEA sur les points importants
évoqués par M. El Baradei le 27 janvier dernier: l'acquisition d'aimants
susceptibles de servir à l'enrichissement d'uranium et la liste des contacts
entre l'Iraq et le pays susceptible de lui avoir fourni de l'uranium.
Nous sommes là au cœur de la logique
de la résolution 1441, qui doit assurer l'efficacité des inspections grâce à
une identification précise des programmes prohibés, puis à leur élimination.
Nous sommes tous conscients que le succès
des inspections suppose que nous aboutissions à une coopération pleine et
entière de l'Iraq. La France n'a cessé de l'exiger. Des progrès réels
commencent à apparaître :
L'Iraq a accepté le survol de
son territoire par des appareils de reconnaissance aérienne ; Il a permis que
des scientifiques iraquiens soient interrogés sans témoins par les inspecteurs
; un projet de loi prohibant toutes les activités liées aux programmes d'armes
de destruction massive est en cours d'adoption, conformément à une demande
ancienne des inspecteurs. L'Iraq doit fournir une liste détaillée des experts
ayant assisté en 1991 aux destructions des programmes militaires.
La France attend bien entendu que ces
engagements soient durablement vérifiés. Au-delà, nous devons maintenir une
forte pression sur l'Iraq pour qu'il aille plus loin dans la voie de la
coopération.
Ces progrès nous confortent dans la
conviction que la voie des inspections peut être efficace. Mais nous ne devons
pas nous dissimuler l'ampleur du travail restant à accomplir: des questions
doivent être encore élucidées, des vérifications doivent être conduites, des
installations ou des matériels doivent sans doute encore être détruits.
Pour ce faire, nous devons donner aux
inspections toutes les chances de réussir.
J'ai fait des propositions le 5
février devant le Conseil. Depuis lors, nous les avons précisées dans un
document de travail adressé à MM. Blix et El Baradei et communiquées aux
membres du Conseil.
Quel est leur esprit? Il s'agit de
propositions pratiques et concrètes, qui peuvent être mises en œuvre rapidement
et qui sont destinées à renforcer l'efficacité des opérations d'inspection.
Elles s'inscrivent dans le cadre de la résolution 1441 et ne nécessitent par
conséquent aucune nouvelle résolution du Conseil. Elles doivent venir à l'appui
des efforts menés par MM. Blix et El Baradei. Ils sont naturellement les mieux
à même de nous dire celles d'entre elles qu'ils souhaitent retenir pour assurer
la meilleure efficacité de leurs travaux. Dans leur rapport, ils nous ont fait
des commentaires utiles et opérationnels.
La France a déjà annoncé qu'elle tenait
des moyens supplémentaires à la disposition de MM. Blix et El Baradei, à
commencer par ses appareils de surveillance aérienne Mirage IV.
Alors oui j'entends bien les
critiques: Il y a ceux qui pensent que dans leur principe, les inspections ne
peuvent avoir aucune efficacité. Mais je rappelle que c'est le fondement même
de la résolution 1441 et que les inspections donnent des résultats. On peut les
juger insuffisantes mais elles sont là.
Il y a ceux qui croient que la
poursuite du processus d'inspection serait une sorte de manœuvre de retardement
visant à empêcher une intervention militaire. Cela pose naturellement la
question du temps imparti à l'Iraq. Nous sommes là au centre des débats. Il y
va de notre crédibilité et de notre esprit de responsabilité. Ayons le courage
de mettre les choses à plat.
Il y a deux options: L'option de la
guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n'oublions pas qu'après
avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la
face: cela sera long et difficile, car il faudra préserver l'unité de l'Iraq,
rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement
affectée par l'intrusion de la force. Face à de telles perspectives, il y a
l'alternative offerte par les inspections, qui permet d'avancer de jour en jour
dans la voie d'un désarmement efficace et pacifique de l'Iraq. Au bout du
compte, ce choix-là n'est-il pas le plus sûr et le plus rapide?
Personne ne peut donc affirmer aujourd'hui
que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut
affirmer non plus qu'il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et
plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d'un échec. Serait-ce notre seul
recours face aux nombreux défis actuels? Donnons par conséquent aux inspecteurs
des Nations Unies le temps nécessaire à la réussite de leur mission. Mais
soyons ensemble vigilants et demandons à MM. Blix et El Baradei de faire
régulièrement rapport au Conseil. La France, pour sa part, propose un nouveau
rendez-vous le 14 mars au niveau ministériel, pour évaluer la situation. Nous
pourrons alors juger des progrès effectués et de ceux restant à accomplir.
Dans
ce contexte, l'usage de la force ne se justifie pas aujourd'hui. Il y a une alternative à la
guerre: désarmer l'Iraq par les inspections. De plus, un recours prématuré à
l'option militaire serait lourd de conséquences.
L'autorité de notre action repose aujourd'hui
sur l'unité de la communauté internationale. Une intervention
militaire prématurée remettrait en cause cette unité, ce qui lui enlèverait sa
légitimité et, dans la durée, son efficacité.
Une telle intervention pourrait avoir
des conséquences incalculables pour la stabilité de cette région meurtrie et
fragile. Elle renforcerait le sentiment d'injustice, aggraverait les tensions
et risquerait d'ouvrir la voie à d'autres conflits.
Nous partageons
tous une même priorité, celle de combattre sans merci le terrorisme. Ce combat
exige une détermination totale. C'est, depuis la tragédie du 11 septembre, l'une de nos
responsabilités premières devant nos peuples. Et la France, qui a été durement
touchée à plusieurs reprises par ce terrible fléau, est entièrement mobilisée
dans cette lutte qui nous concerne tous et que nous devons mener ensemble.
C'est le sens de la réunion du Conseil de Sécurité qui s'est tenue le 20
janvier, à l'initiative de la France.
Il y a dix jours, le Secrétaire
d'Etat américain, M. Powell, a évoqué des liens supposés entre Al-Qaida et le
régime de Bagdad. En l'état actuel de nos recherches et informations menées en
liaison avec nos alliés, rien ne nous permet d'établir de tels liens. En
revanche, nous devons prendre la mesure de l'impact qu'aurait sur ce plan une
action militaire contestée actuellement. Une telle intervention ne
risquerait-elle pas d'aggraver les fractures entre les sociétés, entre les
cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le terrorisme?
La France l'a toujours dit: nous
n'excluons pas la possibilité qu'un jour il faille recourir à la force, si les
rapports des inspecteurs concluaient à l'impossibilité pour les inspections de
se poursuivre. Le Conseil devrait alors se prononcer et ses membres auraient à
prendre toutes leurs responsabilités. Et, dans une telle hypothèse, je veux
rappeler ici les questions que j'avais soulignées lors de notre dernier débat
le 4 février et auxquelles nous devrons bien répondre:
En quoi la nature et l'ampleur de la
menace justifient-elles le recours immédiat à la force?
Comment faire en sorte que les
risques considérables d'une telle intervention puissent être réellement
maîtrisés?
En tout état de cause, dans une telle
éventualité, c'est bien l'unité de la communauté internationale qui serait la
garantie de son efficacité. De même, ce sont bien les Nations Unies qui
resteront demain, quoi qu'il arrive, au cœur de la paix à construire.
Monsieur le Président, à ceux qui se
demandent avec angoisse quand et comment nous allons céder à la guerre, je
voudrais dire que rien, à aucun moment, au sein de ce Conseil de Sécurité, ne
sera le fait de la précipitation, de l'incompréhension, de la suspicion ou de
la peur.
Dans
ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un
idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et
l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la
priorité au désarmement dans la paix.
Et c'est un vieux
pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit
aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui
n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus
d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à
l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les
membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à
construire ensemble un monde meilleur.
Je vous remercie.
Dominique de Villepin